Visite du site de la vallée de la Saâne par l’équipe PACCo de Clinton Devon Estates

Soléa, station d’épuration des eaux usées


Le mercredi 8 juin, sept membres de l’équipe du domaine de Clinton Devon Estates ont embarqué à bord du ferry Seven Sisters à Newhaven pour se rendre à Dieppe.

La dernière fois que le domaine a envoyé une délégation officielle remonte au XVe siècle. John Clinton (5e baron Clinton) était le commandant de la garnison de Pontoise à l’époque de la guerre de Cent Ans. En 1441, il fut capturé par les Français lors d’un siège de la ville et du château et emprisonné pendant six ans. Faisons un bon en avant de presque sept siècles. Notre visite actuelle ne portait pas sur les négociations entourant la libération d’un prisonnier de guerre du domaine, mais plutôt sur l’échange de connaissances avec des collègues de travail dans le cadre de l’initiative transfrontalière Promouvoir l’adaptation aux changements côtiers (PACCo). Pas besoin de sacoches remplies d’argent pour payer la rançon de 5 000 marks requise afin d’obtenir la libération de John Clinton. Un carnet, un stylo et un sac à bandoulière feraient l’affaire. Le seul danger que nous étions susceptibles de rencontrer lors du voyage était de savoir si nos passeports britanniques nous obligeraient à rejoindre la longue file d’attente aux contrôles transfrontaliers plutôt que d’emprunter la voie rapide réservée aux citoyens de l’Union européenne.


Depuis 2020, le domaine de Clinton Devon Estates est un partenaire clé de PACCo. Financé par le Programme Interreg France (Manche) Angleterre, le projet a pour but de mettre en évidence les risques associés au changement climatique pour les communautés côtières et de démontrer qu’une adaptation précoce est non seulement possible, mais souhaitable. L’un des principaux objectifs est de produire un guide pratique que les autres communautés côtières pourront suivre pour les aider à décider si l’adaptation est une stratégie qui leur convient et, le cas échéant, de leur fournir des conseils quant à la marche à suivre. Le projet est centré sur deux sites pilotes : la basse vallée de l’Otter, dans l’est du Devon (Angleterre) pour le projet de restauration de l’Otter inférieure (Lower Otter Restoration Project – LORP), et la vallée de la Saâne, à Quiberville en Normandie (France). Frappés par la pandémie de COVID-19, nous n’avions pas été en mesure jusqu’à présent de respecter les engagements pris au tout début du projet en matière d’échanges entre partenaires. Nous étions donc ravis de pouvoir enfin rencontrer nos organisations partenaires françaises en personne. Tous les participants au voyage ont joué un rôle déterminant dans la réalisation de PACCo. Notre délégation comprenait Carla, Kate, Clare, Kendal, Kim, John (Varley) et moi-même. Malheureusement, Chris, qui a supervisé tous les aspects financiers du programme, n’a pas pu prendre part à cet échange.


Une étude récente publiée dans la revue « Ocean and Coastal Management » illustre la gravité de l’élévation du niveau de la mer. D’ici 2050 (en supposant une élévation prudente du niveau de la mer de 2 °C d’ici 2100), on estime que près de 160 000 propriétés d’Angleterre devront sans doute être relocalisées. Ce chiffre s’ajoute aux 30 000 à 35 000 propriétés qui ont déjà été identifiées comme étant à risque.

Le port de Newhaven

La côte de Quiberville

La Côte d’Albâtre (ou « Alabaster Coast » en anglais) de Normandie s’étend sur près de 130 km entre Étretat et Dieppe, et partage la même géologie de calcaire tendre crayeux que le littoral de Douvres aux falaises blanches abruptes. Cette section du littoral tire son nom de la couleur laiteuse des eaux le long de la côte, où la roche est dissoute par la mer, et cette même coloration était évidente lorsque notre ferry a passé le brise-lames de Newhaven à 16 h.


Il existe de nombreuses similitudes entre la côte sud de l’Angleterre et la côte nord de la France. Toutes deux étaient jadis connectées et les hommes comme les animaux pouvaient se déplacer librement sur une langue de terre reliant les deux territoires aujourd’hui séparés par la mer. Il y a environ 400 000 ans, une énorme inondation a sculpté ce qui allait vite devenir la Manche, entre l’Angleterre et la France. L’élévation du niveau de la mer a encore élargi et creusé cet écart. Depuis lors, l’érosion côtière a lentement dévoré nos côtes et la Manche (ou « the Channel ») ne cesse de s’élargir. Nous avons tous pu observer des éboulements au niveau des falaises de Sidmouth et Budleigh ; la côte française correspondante de Normandie s’érode à un rythme de 60 cm par an. À titre de preuve, lors de notre voyage, nous avons vu le phare d’Ailly, un phare quadrangulaire construit sur la pointe d’Ailly, adjacente à la vallée de la Saâne. Il s’agit du deuxième phare construit à cet endroit : le premier a dû être déplacé en raison de l’érosion, bien qu’il ait été construit initialement à 156 mètres de la mer. Sur la plage de Quiberville, à l’embouchure de la Saâne, nous avons également vu un gigantesque monolithe de roche de la taille d’une grande maison, tombé en contrebas de la falaise.

Image : Conservatoire du littoral

Camille Simon, chef de projet PACCo pour le Conservatoire du littoral en Normandie, était notre hôte. Nous sommes très reconnaissants de l’hospitalité dont son équipe et les deux traducteurs fournis ont fait preuve afin que la conversation se déroule sans effort.
Tout au long de notre voyage, nous avons été frappés à plusieurs reprises par les nombreuses similitudes entre l’Otter et la Saâne. Les deux fleuves sont d’une longueur similaire (environ 44 km) et souffrent d’une eau de mauvaise qualité en raison d’une pollution agricole diffuse et du rejet d’effluents d’origine humaine dans les rivières.

Nouveau camping en cours de construction à Quiberville

Ancien camping (souvent inondé)

Petite question de culture générale : Dans quel sport la France a-t-elle reçu une médaille d’argent après une finale disputée contre les Anglais lors des Jeux olympiques de 1900 à Paris, après quoi le sport n’a plus jamais été disputé aux Jeux olympiques ? La réponse est bien sûr… Le cricket. J’ai effectué quelques recherches pour recenser le nombre de terrains de cricket en France. C’est peut-être la seule fois de ma vie que Wikipédia n’a pas trouvé réponse à ma requête. Cette transition nous permet de passer à l’une des réalisations clés de LORP, qui consiste à assurer l’avenir du club de cricket de Budleigh Salterton dans un lieu exempt d’inondation, avec un terrain et un pavillon qui feront l’envie de la plupart des clubs du sud-ouest. Les installations modernisées permettront au club de développer ce sport, notamment avec des équipes féminines et de handisport. Les Français considèrent notre sport national excentrique au mieux avec désintérêt et la vallée de la Saâne n’a pas de terrain de cricket soumis à un risque d’inondation. Cependant, elle dispose d’un camping lui aussi à risque. Le village de Quiberville est une petite communauté comptant 150 habitants en hiver et environ 500 en été. Le terrain de camping est un lieu touristique local qui alimente 40 % de l’économie locale. Dans le cadre du PACCo, cette zone sera relocalisée à distance de la plaine inondable, ce qui assurera un avenir plus durable pour la communauté qui en dépend. Après une demi-heure de route entre Dieppe et Quiberville, nous avons fait notre première escale au site du futur camping, où les travaux au sol sont déjà bien avancés.

Station d’épuration Soléa


Notre deuxième escale de la journée nous a permis de découvrir Soléa, une nouvelle station d’épuration des eaux usées financée par PACCo. Nous y avons rencontré Amélie Boutillier (chef du bureau technique et de l’urbanisme de la communauté de communes du Terroir de Caux). Soléa doit son surnom à la sole, un poisson plat. Une fois terminée, la forme de la station d’épuration vue de l’air sera similaire à celle de ce poisson, et sera recouverte d’« écailles », ou plutôt de panneaux solaires photovoltaïques générant 90 % de ses besoins énergétiques. À l’heure actuelle, la majorité des quelque 4 000 habitations associées à la basse vallée de la Saâne ne disposent pas de réseau d’égouts. Une fois la construction de Soléa achevée, la plupart d’entre elles seront connectées à la station d’épuration, ce qui permettra d’éliminer la pollution associée aux fosses septiques mal gérées. Ces travaux permettront également le démantèlement de deux réseaux d’assainissement défaillants existants dans les communes adjacentes de Brachy et d’Ambrumesnil et combleront des lacunes de longue date en matière de traitement des eaux usées. Le problème environnemental équivalent de notre côté de la Manche est l’ancienne décharge municipale de la plaine inondable de l’Otter, qui est exposée à l’érosion. Initialement, LORP a étudié la possibilité de retirer la décharge dans son intégralité, mais les coûts associés à cette opération étaient prohibitifs. Au lieu de cela, notre programme améliorera le recouvrement du site et en protégera les côtés afin que son contenu soit à l’abri de toute érosion future.

L’exutoire de dévalaison par lequel la Saâne s’écoule


Le dernier arrêt de la matinée nous a entraînés à l’embouchure de la Saâne, où nous avons rencontré Laurent Topain, directeur du syndicat mixte des bassins versants de Saâne Vienne et Scie. Contrairement à l’Otter qui s’écoule naturellement en mer à Otterton Head, la Saâne ne s’écoule que par un petit ponceau qui coule sous une route longeant un banc de galets. Il est trop petit pour drainer la vallée lorsque le niveau des eaux fluviales s’élève en cas d’inondation. L’un des aspects du projet français est de remplacer le ponceau par un pont routier permettant le passage d’un plus grand débit du fleuve et des eaux de marée. Derrière le banc de galets et la route, de nouveaux méandres seront créés dans la rivière, qui est actuellement largement canalisée. Une fois le projet achevé, 40 hectares de nouveaux habitats à marée rares seront créés. Ceux-ci viendront s’ajouter aux 55 hectares créés par le LORP. Nous avons pu comparer nos observations avec Laurent, notamment au sujet de l’habitat intertidal que chacun de nos projets devrait produire ainsi que sur les problèmes agricoles affectant la qualité de l’eau. Alors que la culture du maïs sur des pentes abruptes est l’une des pires causes de la mauvaise qualité de l’eau dans l’est du Devon, la culture du lin a des conséquences environnementales similaires dans le nord de la France.


Nous avons ensuite pique-niqué dans la salle des fêtes locale avant que notre groupe ne se sépare pour l’après-midi. Kendal et Kate ont disparu pour visiter l’école primaire locale de Quiberville, où ils ont dispensé une activité d’apprentissage sur les impacts du changement climatique. Le reste de notre groupe a examiné le paysage local, en visitant le phare mentionné plus haut, ainsi qu’une église contenant des monuments à la mémoire des soldats britanniques qui ont perdu la vie pendant le raid de Dieppe (Opération Jubilee) en 1942. Le 4e commando a été distingué pour avoir subi de lourdes pertes, ainsi que le capitaine Porteous qui a reçu une Croix de Victoria pour sa bravoure. Des recherches plus approfondies ont révélé que l’opération Jubilee était un fiasco militaire qui a causé la mort de 50 % de plus de 6 000 soldats alliés ayant atterri sur la côte. Elle a également entraîné la perte de 106 avions. Rares sont les objectifs de la mission qui ont été atteints. Cependant, des leçons ont été tirées de cet échec, qui ont influencé le succès ultérieur des débarquements du jour J. Mon fait préféré de l’après-midi était que l’ampoule rotative du phare d’Ailly « flotte » sur un bain de 400 litres de mercure liquide. Bien que le poids de l’ampoule soit considérable, on peut facilement la faire tourner d’une légère pression du doigt, car le mercure fournit des conditions qui permettent une rotation quasiment sans friction. Un article de recherche intéressant paru en 1988 dans la revue Environmental Research attire l’attention sur les empoisonnements aigus au mercure associés aux phares et les incidents de comportements anormaux observés chez leurs gardiens. Le phare d’Ailly est maintenant automatisé, mais le bain de mercure demeure.


Sur le chemin du retour à l’hôtel, nous sommes passés à côté d’une plantation de peupliers à Longueil. Le Conservatoire du littoral en a récemment fait l’acquisition pour assurer l’avenir des terres écologiquement sensibles adjacentes à la Saâne. Ce site va être converti en réserve pour la faune des marais.


Le lendemain, nous nous sommes réunis tôt le matin pour prendre le petit déjeuner, nous avons acheté des baguettes pour le déjeuner et après cinq minutes de route, nous avons rejoint la file d’attente pour prendre le ferry du retour. Après une traversée sans incident, nous sommes remontés dans le minibus. Après être passés par la zone industrielle de Newhaven (qui était fermée !), nous avons mis le cap sur l’ouest et la merveilleuse route A31, où nous attendait le rond-point de Ringwood à l’heure de pointe, un vendredi après-midi. Bienvenue au bercail ! Les 6 et 7 juillet prochains, nous accueillerons nos partenaires français dans le cadre d’une visite réciproque et nous sommes impatients de pouvoir leur faire découvrir la région. Nous sommes repartis très inspirés par le travail qu’ils accomplissent et espérons qu’ils seront également impressionnés par les progrès réalisés dans le cadre du LORP dans la vallée de l’Otter.

Un panneau d’interprétation sur le front de mer de Quiberville présentant nos travaux comparables dans