Rivières connectées – l’Otter et la Saâne

Deux histoires en miroir : l’Otter, dans le Devon, et la Saâne ont été coupées de leurs cours naturels au XIXème siècle. Demain, elles seront à nouveau connectées.

L’Otter retrouve son grand lit

Rendre à la rivière l’accès à sa plaine d’inondation naturelle, pour lui permettre de s’étaler et de se s’écouler naturellement en cas de crue : c’est l’un des objectifs prioritaires du Lower Otter Restoration Project (LORP), le pendant anglais du projet de territoire Basse-Saâne 2050.

La basse vallée de l’Otter a été fortement modifiée par l’homme au cours des 200 dernières années avec la construction d’un remblai, d’une route, d’une décharge, d’un aqueduc, d’un terrain de cricket, d’un parking et d’une ancienne ligne de chemin de fer. Ces structures sont difficiles -et coûteuses- à entretenir, et entravent les processus naturels, notamment le mouvement de l’eau, ce qui affecte la qualité et la diversité des habitats. Depuis la création d’une digue au début du 19ème siècle, la rivière Otter a été déconnectée d’une grande partie de sa plaine inondable.

Et puis, le régime des eaux de la rivière a changé, et aujourd’hui tous ces équipements, qui enferment l’Otter dans son lit mineur, constituent des risques plutôt que des protections. Il devenait donc urgent de permettre à la rivière de se prélasser, quand elle le souhaite, dans son lit majeur.

Facile à dire… Détruire intégralement les digues ? Impossible : elles sont utilisées comme voies de circulation, et certaines activités implantées dans le lit majeur doivent rester au sec. Une seule solution : ouvrir en plusieurs points des brèches dans les digues.

Simple, non ?

Non, justement… La digue principale, en terre, sert de sentier de randonnée, un sentier extrêmement populaire qu’il n’est pas envisageable de fermer. Il est donc nécessaire de construire une passerelle de 70 mètres de long pour enjamber la brèche et permettre le passage des marcheurs.

De même, pour sécuriser l’accès des résidents et des activités économiques à certains points du territoire, la route qui les dessert doit être surélevée, et un pont routier est en cours de construction.

Il a fallu en outre confiner une ancienne décharge publique, qui se trouve actuellement dans la plaine inondable et présente un risque environnemental. Elle sera protégée de l’érosion et son recouvrement sera augmenté. Une conduite d’assainissement qui longe le côté terre du cordon de galets (patrimoine mondial de la côte jurassique) sera remplacée par une nouvelle conduite sous l’estuaire. Cela permettra à l’érosion et au dépôt naturels de se produire et réduira le risque de pollution. L’aqueduc qui transporte le ruisseau Budleigh sera démoli et le ruisseau retrouvera un cours plus naturel.

Crédit photo: Jake Newman, KOR Communications

Enfin, last but not least, le club de cricket de Budleigh Salterton sera déplacé vers un nouveau site situé en dehors de la plaine inondable. Nous sommes en Angleterre, by Jove, on ne plaisante pas avec le cricket…

Évidemment, tout cela coûte cher. Mais les bénéfices ne se limitent pas à la prévention des crues : en ouvrant une brèche dans la digue, on permet à une plus grande partie du lit majeur d’être inondée à marée haute et de s’écouler à marée basse, produisant ainsi un habitat appelé « intertidal » (situé entre la marée basse et la marée haute) important, des vasières et des prés salés pour les échassiers. On verra aussi apparaître des zones de roselière et de marais de pâturage.

La Saâne retrouve la mer

L’histoire, tout le monde la connaît. Jadis, la mer pénétrait à chaque marée dans la basse vallée de la Saâne, et remontait jusqu’à Longueil (où existait un port, rue des pescheries !). A la fin du XIXème siècle, la construction de la digue de Quiberville-Sainte Marguerite a permis de « poldériser » le bas de la vallée, d’empêcher la mer d’entrer, et de développer sur les terres ainsi gagnées des activités agricoles et touristiques, parmi lesquelles le camping de Quiberville. Parallèlement, les merlons édifiés sur les bords de la rivière ont permis de la canaliser, et de protéger des inondations ces terrains gagnés sur la mer.

Mais à partir de la fin du XXème siècle, les inconvénients ont commencé à supplanter les bénéfices de ces équipements. Premières alertes en 1977, 1978 et 1984 : les tempêtes dégradent la digue et provoquent des inondations, dont le rythme s’accélèrera au cours des années suivantes (années 90 et 2000).

Il faut se rendre à l’évidence : la déconnexion de la rivière et de la mer, opérée par la digue, a atteint ses limites. La digue contribue à protéger la basse vallée de la submersion marine, mais elle n’est pas adaptée aux forts épisodes de tempêtes : dans ces occasions, la mer submerge la digue et contribue à sa dégradation ; dans le cas d’inondations causées par les crues de la Saâne, la digue et la buse empêchent l’eau de s’écouler dans la mer et aggravent l’inondation. Or le dérèglement climatique augmente la fréquence et l’ampleur de ces deux phénomènes. En particulier, l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation de la fréquence des tempêtes imposent d’adapter le territoire de la vallée aux nouvelles conditions climatiques.

Mais créer une nouvelle connexion implique de recomposer tout le territoire de la basse vallée.

Première étape, récupérer partiellement le lit majeur de la rivière, en déplaçant les activités qui s’y sont installées, en premier lieu le camping de Quiberville et les bungalows de Sainte-Marguerite. Sur l’emplacement de l’ancien camping, un nouveau méandre du fleuve sera aménagé.

Deuxième étape : redonner à la Saâne l’accès à son lit majeur, en effaçant les merlons qui la canalisent.

Troisième étape : relier véritablement la mer à la rivière. Pas par une buse minuscule comme c’est le cas aujourd’hui, mais par un pont sous lequel coulera la Saâne et sur lequel passera la route littorale.

La nouvelle connexion entre le fleuve et la mer favorisera l’intrusion d’eau salée pendant les épisodes de fortes marées. La zone située autour de la Saâne re-méandrée retrouvera un fonctionnement estuarien, avec la restauration de zones humides favorables à la biodiversité. Elle permettra le développement de pratiques agricoles nouvelles, et proposera aux habitants de la vallée et aux visiteurs des parcours de découverte.

Crédit photo: Thomas Drouet, Conservatoire du littoral

Dans la rivière ainsi de nouveau connectée à la mer, de nombreuses espèces pourront retrouver un habitat favorable à leur développement. Ainsi, l’anguille, qui pourra remonter le cours du fleuve pour y prospérer en paix, ou le bar commun, que l’on aperçoit parfois, près de la buse, tenter maladroitement de franchir l’obstacle… et échouer le plus souvent. Sans la buse, à lui la rivière, à lui ses eaux saumâtres dans lesquelles il pourra s’ébattre…